A l’occasion de recherches actuellement en cours à la Clinique Dermatologique de Genève sur l’acide l-ascorbique (vitamine C) (1), nous en avons étudié l’action sur un certain nombre d’états allergiques de la peau.
Ces essais, dont nous rapportons ici les premiers résultats, ont montré que l’acide ascorbique (2) possède des propriétés désensibilisantes extrèmement actives, et permettent d’entrevoir le rôle exceptionnel que ce médicament est appelé à jouer dans la thérapeutique dermatologique.
(1) Voir la thèse de M. Piesocki, Recherches cliniques sur la diminution de la toxicité des arsénobenzènes par addition de Redoxon. A l’impression.
(2) La préparation employée est le Redoxon Roche.
Mme B... Eugénie, 43 ans, ménagère.
Hospitalisée à la Clinique Dermatologique pour eczéma variqueux des deux jambes.
Antécédents personnels : rien de particulier. Tuberculose chez les collatéraux et les descendants.
Le Wassermann, que l’on pratique systématiquement, est trouvé très positif chez cette malade, sans qu’on puisse découvrir l’origine de sa syphilis.
Traitement mixte : Salvarsan et Bismuth.
23 mai. | 1re | inj. Néo-Mesarca.. | 0,15 | 1re | inj. Oléo-Bi.. | 1 cc. | |
25 mai. | 2e | » » | 0,30 | 2e | » » | 1 cc. | |
27 mai. | 3e | » » | 1 cc. | ||||
28 mai. | 3e | » » | 0,45 |
Dès le début du traitement, la malade s’était plainte de maux de tête.
29 mai. Les maux de tête sont plus violents, la température monte à 38°2-38°5. On suspend momentanément le traitement.
31 mai. Apparition sur tout le corps d’une éruption de petits éléments érythémato-papuleux très prurigineux, avec tendance à confluer par places en grands placards; l’éruption a tous les caractères d’un érythème salvarsanique.
La malade reçoit expérimentalement une injection intraveineuse de 5 centigrammes d’acide ascorbique, dissous dans 10 centimètres cubes d’eau.
Le lendemain, les lésions ne sont plus surélevées, mais forment des placards d’érythème scarlatiniforme étendus. Cet érythème disparaît presque complètement au cours de l’après-midi.
La malade reçoit une deuxième injection intraveineuse d’acide ascorbique, 5 centigrammes. La température, qui était de 38°6 le 31 mai, de 38°3 le 1er juin, tombe le 2 juin. L’éruption a complètement disparu.
6 juin. Tentative de reprise du traitement. La malade reçoit une injection de 30 centigrammes de Néo-Mesarca dissous dans une solution d’acide ascorbique (5 cgr. d’acide ascorbique, 10 cc. d’eau distillée).
Très peu de temps après l’injection, apparition sur les bras, le ventre et les cuisses, d’une éruption de papules ortiées non prurigineuses, qui persistent quelques heures, puis disparaissent pour faire place à une rougeur diffuse du visage avec injection des sclérotiques et bourdonnements d’oreilles jusqu’au soir.
Le soir, l’éruption a disparu.
La malade se plaint d’une grande fatigue des bras et des jambes et de douleurs articulaires.
7 juin. La malade se sent tout à fait, bien. Injection d’acide ascorbique, 5 centigrammes.
13 juin. Nouvelle tentative de reprendre le traitement. Injection de 15 centigrammes de Néo-Mesarca dissous dans une solution d’acide ascorbique à 1/100e (acide ascorbique 0,10, eau distillée, 10 cc.). Cette injection est parfaitement supportée.
18 juin. Injection de 30 centigrammes de Néo-Mesarca dissous dans la même solution d’acide ascorbique, très bien supportée.
21 juin. Injection de 30 centigrammes de Néo-Mesarca dans la même solution d’acide ascorbique, très bien supportée.
A ce moment. la malade quitte la clinique et termine ambulatoirement une cure salvarsanique ascorbinée d’un total de 4 gr. 50, sans incidents (injections de 30 cgr. de Néo-Mesarca dissous chaque fois dans 10 cc. de la solution d’acide ascorbique à 1/100e).
Mme F... Berthe, 34 ans, ménagère.
Syphilis ignorée jusqu’au début d’avril 1935. A cette époque, ictus; coma pendant deux jours, puis reprise de connaissance avec diminution de la force de la main droite.
Le médecin consulté trouve un Bordet-Wassermann positif et met la malade en traitement salvarsanique.
Du 22 avril au 27 mai, elle reçoit 5 gr. 10 de Néo-Mesarca (dose maxima par injection, 0,60).
L’avant-dernière piqûre occasionne un prurit localisé d’abord aux bras, puis généralisé.
La dernière piqûre (0,60 le 27 mai) est suivie d’un érythème généralisé.
Le 11 juin, la malade entre à la Clinique Dermatologique.
Elle présente une érythrodermie salvarsanique exfoliatrice suintante généralisée et de nombreuses lésions de pyodermite secondaire, surtout aux bras. Le visage, les bras, les membres inférieurs sont le siège d’un très fort œdème qui rend impossible tout traitement par injections intraveineuses, ce qui fait administrer l’acide ascorbique sous forme de comprimés, à raison de 3 comprimés de 5 centigrammes par jour dès le 12 juin.
De plus, selon la technique pratiquée systématiquement à la Clinique Derrnatologique, un bain quotidien de permanganate de potasse (2 gr. pour un bain).
14 juin. Diminution de l’œdème et de la rougeur.
15 juin. Amélioration marquée. On augmente la dose d’acide ascorbique à 5 comprimés par jour.
17 juin. Disparition presque complète de l’œdème, la peau du visage ne desquame plus.
23 juin. L’œdème a disparu ; la desquamation du tronc est terminée. Persistance d’un état légèrement squameux de la peau des mains et des pieds.
7 juillet - Guérison de l’érythrodermie.
Persistance d’une sensation de prurit aux jambes, sans autres lésions que des lésions de grattage, et qui cède en quelques jours à des compresses d’eau boriquée.
M.W... Louis, 39 ans, cuiseur dans une briquetterie.
Antécédents : rien de particulier.
En janvier 1935, le malade manifeste des idées de grandeur. A la même époque, il se plaint d’une fatigue exagérée après son travail, et d’un tremblement de la main gauche, pour lequel il consulte un médecin.
Le Bordet-Wassermann fait à cette occasion se révèle positif, et le malade, qui dit ignorer tout de sa syphilis malgré de nombreuses possibilités de contamination, est mis en traitement salvarsanique : 7 injections intraveineuses de Néo-Mesarca (doses I, II, III, IV et 3 doses V) sont bien supportées.
7 mai. Dernière injection.
14 mai. Début sur les bras d’une érythrodermie, qui se généralise rapidement à tout le corps.
22 mai. La rougeur et l’œdème gagnent le visage.
25 mai. La malade entre à la Clinique Dermatologique, avec une érythrodermie salvarsanique exfoliatrice suintante généralisée. Température 38°3, Wassermann positif. Vernes 10.
Traitement externe par bains de permanganate sans résultat pendant 10 jours.
5 juin. Le malade reçoit une première injection intraveineuse d’acide ascorbique (acide ascorbique 5 cgr., eau distillée 10 cc.).
6 juin. L’érythème semble avoir diminué ; deuxième injection d’acide ascorbique 5 centigrammes.
7 mai. Diminution manifeste de l’érythème et de l’œdème du visage.
L’état des veines de ce malade rend les injections impossibles. L’acide ascorbique est dès lors administré par la bouche, à raison de 2 comprimés de 5 centigrammes par jour.
Très rapidement, l’état général et cutané s’améliorent. La fièvre tombe au bout de huit jours. La rougeur et l’œdème disparaissent. L’appétit revient. Le malade reprend du poids (53 kg. 600 le 4 juin ; 54 kg. 600 le 18 juin ; 56 kg. 900 le 25 juin).
25 juin. La desquamation, qui était généralisée et abondante, est terminée.
Seuls persistent quelques abcès cutanés, reliquats de la pyodermite secondaire que ce malade a présentée au cours du traitement, et qui ne semblent pas avoir été influencés par l’acide ascorbique. Ils cèdent lentement aux injections d’un auto-vaccin (staphylocoque doré).
M. F... Albert, 50 ans, commerçant.
Chancre syphilitique et roséole à 24 ans (1909). Traité par XXX pilules de Ricord, puis par quelques boîtes de pilules Polak.
Pas d’autre traitement. Aucune manifestation de l’infection jusqu’au printemps 1935 (26 ans de syphilis latente).
13 mai. Le malade se présente à la Policlinique Dermatologique pour une tuméfaction rouge brique datant d’une quinzaine de jours, localisée sur le bout du nez et la cloison médiane. Les bords en sont très nettement limités, sans réaction inflammatoire de voisinage. Aucun symptôme subjectif. La lésion présente l’aspect typique d’une syphilide tubéreuse.
Bordet-Wassermann très positif. Vernes : 60.
Traitement mixte.
1er juillet. Dernière injection de Néo-Mesarca, dose V ; 20e injection de 1 centimètre cube d’Oléo-Bi.
3 juillet. Début sur les quatre membres d’un érythème de type urticarien. Bains d’amidon.
8 juillet. Généralisation de l’érythème, particulièrement marqué aux cuisses, aux fesses et aux bras, qui sont fortement œdématiés. Aux bras et aux oreilles, début de desquamation.
L’éruption prend le type classique de l’érythrodermie salvarsanique.
Le malade reçoit ambulatoirement une première injection intraveineuse d’acide ascorbique (0,10 dans 10 cc. d’eau distillée).
9 juillet. Légère diminution de l’œdème des membres. Deuxième injection intraveineuse d’acide ascorbique, 10 centigrammes.
12 juillet. L’œdème des membres a encore diminué, mais le malade présente un œdème très prononcé du visage.
Cinquième injection d’acide ascorbique (0,10).
14 juillet. Lésions suintantes aux oreilles, aux avant-bras et à la face interne des cuisses ; hospitalisation du malade, qui reçoit un bain quotidien de permanganate de potasse (2 gr. pour un bain) et une injection intraveineuse quotidienne de 10 centigrammes d’acide ascorbique (20 cgr. par injection dès le 16 juillet).
18 juillet. Grosse amélioration. L’œdème et le suintement ont progressivement disparu. L’érythème a diminué.
La desquamation est encore abondante.
22 juillet. La desquamation persiste, mais l’érythème est en voie de disparition. On ne constate plus qu’une légère rougeur au visage et à la face interne des cuisses, au niveau des placards primitifs. Le malade se lève et se sent tellement bien qu’il demande à quitter l’Hôpital.
24 juillet. Guérison du visage.
Persistance d’une légère rougeur aux cuisses. La desquamation est encore marquée aux cuisses et aux bras.
25 juillet. La desquamation est terminée sur le tronc et les membres, sauf aux extrémités, où persiste un état légèrement squameux de la peau.
Mlle M..., 21 ans, dactylographe.
Traitée dès septembre 1932 pour une tuberculose fibro-caséeuse de la région para-hilaire droite.
Du 29 novembre 1932 au 5 juillet 1933, 1re cure de chrysalbine :
22 injections de 5 centigrammes bien supportées et suivies d’une bonne amélioration clinique.
Du 16 mars 1934 au 11 juin 1934, 2e cure de chrysalbine :
10 injections de 5 centigrammes, bien supportées.
Du 23 octobre 1934 au 11 juin 1935, 3e cure de chrysalbine :
14 injections très espacées de 5 centigrammes.
Pour les cinq dernières, la chrysalbine était prophylactiquement dissoute dans une ampoule de calcium Sandoz.
11 juin 1935. La malade constate, sur la face externe de son bras gauche une petite lésion arrondie, prurigineuse, qu’elle traite elle-même par des applications de teintude d’iode et d’Antipyol, sans résultat.
24 juin. Début d’un éruption discrète, surtout marquée au bras gauche. Le médecin traitant fait une injection intraveineuse de gluconate de calcium (Sandoz) et nous adresse la malade.
25 juin. Nous constatons sur le bras et l’avant-bras gauches, qui sont légèrement œdématiés, une éruption de petits éléments érythémateux, à peine surélevés, confluents par places et légèrement prurigineux.
L’érythème existe également sur le bras droit, le tronc et les cuisses de la malade, mais plus discret.
Expectative. Bains d’amidon.
28 juin. L’œdème du membre supérieur gauche a fortement augmenté et gagné le dos de la main. Apparition d’un léger œdème au bras droit ; augmentation de l’éruption qui s’est généralisée, mais qui respecte le visage.
L’érythrodermie aurique ne fait plus de doute. Nous faisons à la malade une première injection intraveineuse d’acide ascorbique (acide ascorbique, 0,10 ; eau distillée, 10 cc.).
29 juin. Augmentation de l’érythème qui n’est plus surélevé, mais qui conflue en nappe cyanotique sur tout le membre supérieur gauche.
Le reste de l’éruption est également plus marqué que la veille, l’œdème a augmenté.
Deuxième injection d’acide ascorbique, 0,10.
1er juillet. Troisième injection d’acide ascorbique, 0,10.
2 juillet. Œdème sans changement, mais légère diminution de l’érythème. Début d’une desquamation très fine, presque furfuracée, sur le bras gauche.
(Bains quotidiens d’amidon, compresses d’eau amidonnée. Depuis le 2 juillet, injections quotidiennes d’acide ascorbique, 0,10).
5 juillet. L’éruption a presque complètement disparu ; l’oedème des bras a diminué. Par contre, le visage de la malade est très fortement œdématié, mais sans rougeur (pas d’albumine).
État squameux du bras gauche sans changement.
7 juillet. L’érythème a disparu.
Légère diminution de l’œdème du visage et des bras.
10 juillet. Disparition de l’œdème du visage. Diminution de l’œdème des membres.
12 juillet. Le bras droit et la main gauche ont complètement désenflé.
Seul le bras gauche, qui ne desquame plus, est encore très légèrement œdématié et conserve sa teinte un peu plus foncée que le reste de la peau.
16 juillet. Plus trace d’œdème. La peau du bras gauche a une consistance encore un peu rugueuse et. présente une légère pigmentation brunâtre.
En comparant les observations qui précèdent à celles d’autres malades, en relisant les observations d’autres auteurs (Du Bois, Golay et Silvestre, Gougerot, Milian, Tzanck, etc.), on est frappé par la rapidité de la guérison obtenue et par la bénignité qu’affecta le cours de la maladie sous l’influence de l’acide ascorbique.
Jusqu’à présent, l’issue mortelle d’une érythrodermie n’était pas exceptionnelle, et les paroles de Dekeyser au dernier Congrès des dermatologistes et syphiligraphes de langue française (Lyon, juillet 1934) disent assez ce qu’on pouvait attendre de son traitement:
« Pour l’érythrodermie exfoliante nous sommes désarmés. En dehors des injections désensibilisantes d’hyposulfite de soude à 200/0 recommandées par Ravaut, nous ne possédons aucun moyen d’agir sur l’organisme. Encore semblent-elles illusoires dans la plupart des cas (1) ».
(1) Ve Congrès des Derm. et Syph. de langue française, vol. I, p. 347.
Des recherches ultérieures, des observations plus nombreuses permettront d’établir une posologie précise de l’acide ascorbique et montreront s’il vaut mieux l’administrer par la bouche ou par voie intraveineuse.
Déjà, cependant, un certain nombre de résultats restent acquis.
Nous avons montré que l’acide ascorbique possède des propriétés désensibilisantes exceptionnelles, et que ce médicament est capable, aux doses où nous l’avons employé, de modifier profondément l’évolution clinique des érythrodermies, et d’en transformer du tout au tout le pronostic.
En terminant ce travail, nous prions notre Maître, M. le Professeur Du Bois, d’agréer l’expression de notre vive gratitude pour l’intérêt bienveillant qu’il a manifesté pour ces recherches, élaborées dans son service, ainsi que pour l’autorisation qu’il nous a donnée d’utiliser à cette fin le matériel de la Clinique Dermatologique.
From Annales de Dermatologie et de Syphiligraphie — 7e Série — Tome 6 — No 9 — Septembre 1935.
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20 November, 2013.
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